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Rien. Il n’y connaît rien. Et c’est sans doute pour cela que Donald Trump lui a confié les dossiers les plus brûlants de la planète. C’est un peu son clone, la mèche en moins : milliardaire, promoteur immobilier et, surtout, depuis près de quarante ans, son partenaire de golf. Espérons que son swing est bon. Car, depuis novembre dernier, Steve Witkoff, 68 ans, n’est autre que l’envoyé spécial du président américain pour le Moyen-Orient, la guerre Russie-Ukraine et... le dossier iranien. Tout ce qu’il connaît de « l’art du deal », il l’a appris dans l’ombre de Trump : « Je le voyais entrer et je me disais : “Mon Dieu, je veux être lui. Je ne veux pas être l’avocat. Je ne veux pas être le scribe. Je veux être cet homme.” [...] Il était pour moi le Michael Jordan de l’immobilier. » Miracle, le voilà devenu, grâce à sa proximité avec son idole, le Michael Jordan de la géopolitique.
Depuis des mois, à la demande de Trump, Witkoff promène sa bouille ronde et ses cheveux poivre et sel dans le monde entier. Partout où il passe, cet homme d’affaires – et non de principes – n’a qu’une boussole : décrocher un bon « deal » et toper avec les tyrans. Il faut le voir s’approcher du maître du Kremlin la main sur le cœur... L’homme ne cache pas sa fascination pour Poutine, qui, à ses yeux, « n’est pas un mauvais gars », plutôt « direct », « extrêmement intelligent et charismatique ». Et qui, de surcroît, a des ennuis avec « un faux pays »... Entendez : l’Ukraine. Ce sont ses mots, fin mars, au micro du journaliste d’extrême droite prorusse Tucker Carlson.

Illustration : Laura Acquaviva - Photo : SIPA USA / SIPA
“KREMLIN LOVER”...
Au cours de ce long entretien, truffé de questions complaisantes, il n’a pas réussi à citer correctement les territoires annexés par la Russie : « Je pense que le principal problème dans ce conflit, ce sont ces soi-disant quatre régions, le Donbass, la Crimée... et il y en a deux autres... » Des territoires dont il n’a retenu qu’une chose : ils sont « russophones », « il y a eu des référendums » et « la grande majorité des habitants a indiqué vouloir être sous la domination russe ». Pas un mot sur le fait que les habitants ont dû voter avec une kalach braquée sur la tempe... La vidéo, sidérante, a fait le tour des réseaux. On l’y entend marteler combien « Poutine a un immense respect pour le président, contrairement à Zelensky, qui, lui, aurait manqué de respect dans le Bureau ovale ». Avant de raconter, la larme à l’œil, ces signes qui ne trompent pas sur l’amitié sincère que Poutine porte à Trump : lui avoir offert un tableau et avoir prié pour lui après la tentative d’assassinat dont il a été la cible : « Il m’a dit que, lorsque le président s’est fait tirer dessus, il s’est rendu dans son église locale, il a vu son prêtre et il a prié pour le président – non pas parce qu’il était le président des États-Unis ou pouvait le devenir, mais parce qu’il était ami avec lui et qu’il priait pour son ami. » Touchant... de naïveté. Il faut dire que Witkoff est sensible aux cadeaux. Il est même connu pour être à la fois un « Kremlin lover » et un « Qatar lover ». L’an dernier, lors du Forum économique du Qatar, l’homme d’affaires était intarissable sur ce pays « très, très impressionnant », où « les hôtels sont magnifiques ». Dans ce même entretien avec Tucker Carlson, il ne cesse de répéter que les Qataris sont « des gens bons et honnêtes », qui ne désirent que la paix. Et de se rappeler tous les « nombreux moments » qu’il a passés avec cheikh Mohammed al-Thani, Premier ministre du Qatar, qu’il décrit comme « un homme bien », « un être humain honnête et bon qui veut ce qu’il y a de mieux pour son peuple ». Witkoff précise aussi qu’il est temps de cesser le conflit car le Hamas, les Houthis ou le Hezbollah ne présentent pas de « risque existentiel ». Nous voilà rassurés.
... ET “QATAR LOVER”
Mais d’où lui vient ce talent pour l’aveuglement ? De son sens des affaires, bien sûr. En 2023, le promoteur a vendu l’hôtel Park Lane à l’Autorité d’investissement du Qatar pour 623 millions de dollars. Son groupe, Witkoff Capital, s’est aussi associé à des investisseurs qataris et au prince Alwaleed bin Talal pour permettre à Elon Musk de racheter Twitter... dans l’intérêt de Trump. Lequel ne tarit pas d’éloges sur son envoyé, un « grand homme » et « un véritable ami », et lui garde toute sa confiance malgré le « Signal Gate » : avoir participé depuis Moscou à ce chat privé sur des sujets classés défense via son téléphone personnel non sécurisé... Le tout en présence d’un intrus, le journaliste Jeffrey Goldberg, qui a tout révélé. Il faut dire que les bonnes relations entre le président et son partenaire de golf préféré sont aussi sonnantes que trébuchantes, via la World Liberty Financial. La plateforme de cryptomonnaies cofondée par Witkoff a levé en mars 550 millions de dollars. Or 75 % des revenus nets générés par ces ventes seront reversés à une autre société... liée à Trump et à sa famille. Parallèlement à ses liens avec les émirs de Doha, Witkoff entretient aussi une relation d’affaires étroite et durable avec Len Blavatnik : un milliardaire d’origine russe connu pour sa proximité avec le Kremlin, sanctionné par l’Ukraine... mais qui se trouve être un investisseur clé dans les projets immobiliers de Witkoff. De quoi alimenter un peu plus la rumeur sur la manière dont des fonds russes facilitent la spéculation sur l’immobilier américain. D’autant que Trump lui-même a vu plusieurs fois ses projets immobiliers sauvés par la mafia russe. Dire que ce président et son envoyé, si facilement achetable, est à la fois chargé de négocier avec la Russie, le Qatar mais aussi l’Iran... Pour John Bolton, l’ancien conseiller à la Sécurité nationale de Donald Trump, l’idée est tout simplement effrayante : « Witkoff ne connaît rien à la véritable diplomatie. En réalité, il n’est rien d’autre qu’un véhicule pour la propagande de Poutine. » Le président ukrainien le dit aussi à sa manière : « Je trouve que Witkoff cite assez souvent le narratif du Kremlin et cela ne nous rapproche pas de la paix.» Plutôt des tyrans...