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AboDisparition de François –
Comment le pape a tenté d’assainir les finances du VaticanAu cours de sa croisade pour améliorer la situation financière du Saint-Siège, le pape François a dû affronter de puissants vents contraires. Décryptage.
Jean-Marie Guénois- «Le Figaro»
Publié aujourd’hui à 12h47Tout au long de son pontificat, jusqu’aux derniers instants de sa vie, le pape François, mort ce lundi à l’âge de 88 ans, a affronté de puissants vents contraires pour tenter d’assainir les finances du Vatican.
La situation était à ce point catastrophique que le budget 2025 du plus petit État du monde, présenté par le Secrétariat pour l’économie, avait été retoqué fin décembre 2024 par la commission des cardinaux chargée de la surveillance des comptes, présidée par le cardinal allemand Reinhard Marx, archevêque de Munich.
Un compromis avait été trouvé: les chiffres du budget prévisionnel 2024 étaient reconduits, à condition que Maximino Caballero Ledo, préfet du Secrétariat pour l’économie du Saint-Siège – c’est-à-dire ministre des Finances – revoie sa copie avant le 30 mars. Ce laïc espagnol de 65 ans, considéré comme proche de l’Opus Dei, l’a corrigée à la baisse. Le budget 2025 du Vatican a été adopté en commission le 17 mars.
«Un déficit chronique»
Cet exemple démontre que le bulletin de santé financier du Vatican est «alarmant», comme le décrivent ceux qui le connaissent en détail. Si beaucoup imaginent une Église catholique assise sur une montagne d’or et d’argent, qu’en est-il exactement du Vatican?
Le dernier chiffre officiel remonte à l’année 2023, où 83,5 millions d’euros, soit 77,7 millions de francs suisses, manquaient à l’appel pour boucler le budget. Ce trou financier avoisinait les 78 millions d’euros (72,6 millions de francs) en 2022 et serait de près de 70 millions d’euros (65,2 millions de francs) en 2024.
Un expert italien du sujet résume: «Le Saint-Siège souffre d’un déficit chronique oscillant entre 50 et 70 millions d’euros annuels (entre 46,5 et 65,2 millions de francs).» Soit environ 7% de son budget global. On ne parle pas de chiffre d’affaires au Vatican, mais de budget annuel, dont le périmètre est de l’ordre de 1,2 milliard d’euros actuellement.
Le «denier de Saint-Pierre» préoccupe
Les dépenses de personnel avoisinent 515 millions d’euros (479,7 millions de francs), les coûts de structure et de fonctionnement sont du même ordre à 532 millions d’euros (495,5 millions de francs), les donations extérieures pour des œuvres de charité tournent autour des 120 millions d’euros (111,7 millions de francs).
Quant aux revenus, si tous ne sont pas rendus publics, ils proviennent en partie des dons, pour environ 240 millions d’euros annuels (223,5 millions de francs), en baisse constante, du patrimoine immobilier locatif, qui génère une centaine de millions de revenus commerciaux, pour 85 millions d’euros (79,1 millions de francs), et de revenus divers, pour 140 millions d’euros (130,4 millions de francs).
Dans cette colonne des recettes, les spécialistes tirent la sonnette d’alarme autour du «denier de Saint-Pierre». Ce fonds est alimenté une fois par an par une quête mondiale pour financer le pape et ses œuvres, mais aussi le Vatican. Il aurait chuté «de moitié depuis une dizaine d’années» selon une source interne, se stabilisant à une moyenne de 45 millions d’euros (41,9 millions de francs) de 2021 à 2023, indiquent les seuls chiffres disponibles. Cette manne, alimentée pour un bon quart par les catholiques américains, avait souvent servi à combler le déficit de fonctionnement du Saint-Siège. Elle ne suffit plus.
Inquiétudes autour du fonds de pension
À côté de ce budget annuel, qui rencontre d’ailleurs des problèmes de trésorerie pour 2025, une autre question tourmentait le pape François: celle du fonds de pension de retraite du personnel du Vatican, qui avait été créé par Jean-Paul II, mais largement sous-capitalisé. Il concerne 5000 personnes et se trouve, lui aussi, en déficit, de 350 millions d’euros (326 millions de francs) à… 1 milliard d’euros, en fonction des hypothèses (930 millions de francs).
François s’était trouvé, là aussi, au pied du mur. D’autant qu’au mois de novembre dernier, il avait débarqué du jour au lendemain l’ensemble du conseil d’administration, composé en partie de professionnels très expérimentés en la matière.
Ce dossier avait alors été pris en main par le cardinal Kevin Farrell et le Secrétariat pour l’économie. Mais, à la surprise générale, François avait formellement rejeté les propositions de cette instance, peu de temps avant son hospitalisation. Les suggestions de redressement du précédent conseil d’administration pourraient ainsi ressusciter.
Le Vatican peut-il miser sur son patrimoine historique?
L’Église catholique romaine pourrait se rassurer avec son patrimoine historique, estimé par certains spécialistes à 4 milliards d’euros (3,7 milliards de francs), une valeur qui n’a toutefois que peu de sens, car personne n’imagine qu’il puisse être un jour vendu.
N’est-ce pas le long de la basilique Saint-Pierre que l’apôtre Pierre, en l’an 64 après Jésus-Christ, est mort crucifié la tête en bas dans ce qui était alors le cirque de Néron? L’Église est donc chez elle au Vatican, mais cette propriété de 44 hectares ne bénéficie plus des revenus des États pontificaux – un quart de l’Italie actuelle –, définitivement perdus en 1859.
Le royaume d’Italie a certes compensé cette perte par les Accords du Latran en 1929, signés entre Mussolini et le Saint-Siège, à l’occasion desquels le Vatican avait bénéficié du versement de l’équivalent de 1 milliard d’euros (930 millions de francs). Une somme alors investie dans un vaste patrimoine immobilier en Italie et à l’étranger, mais dont la mauvaise gestion ne permet pas au Vatican de subvenir à ses besoins. Quand François est arrivé en 2013, un tiers des loyers romains des immeubles appartenant au Saint-Siège ne rentraient pas dans les caisses…
Comment colmater les brèches?
Comment colmater ce tonneau des Danaïdes? Le 11 février – trois jours avant son entrée à l’hôpital –, cette urgence financière avait conduit le pape à ordonner la création d’une commission de donations pour le Saint-Siège, de façon à «inciter les donations par des campagnes appropriées auprès des fidèles, des conférences épiscopales et des bienfaiteurs potentiels» et à «repérer les financements de donateurs volontaires». Ce qui revient à créer un fonds financier mondial pour accueillir des dons destinés à financer le Saint-Siège et ses œuvres, sous la seule responsabilité du pape.
Avec 1,4 milliard de catholiques dans le monde, le potentiel de levée de fonds est immense, mais jamais l’Église catholique n’avait osé utiliser cette méthode directe d’appel au financement. Le fait que l’annonce de la création de ce fonds soit intervenue le 26 février, deux jours après la première visite des numéros deux et trois du Vatican au pape, démontre l’empressement du Saint-Siège sur ce dossier, qui figurait bel et bien au menu de la rencontre.
Réseaux de pouvoir au sein du Vatican
Selon plusieurs avis, ce fonds ne sauvera toutefois pas les finances du Saint-Siège. L’équation à résoudre est terriblement complexe. Elle n’implique pas seulement des colonnes de chiffres, mais aussi des réseaux de pouvoir qui s’affrontent au sein du Vatican. François n’a d’ailleurs pas démérité sur le sujet. Force est de constater que son autoritarisme, redouté dans les couloirs de la curie romaine, n’a pas triomphé de cette mission impossible. Il s’est heurté comme sur aucun autre sujet à une puissante résistance interne, abandonnant sa réforme économique à mi-parcours.
Le cardinal George Pell, que le pape argentin était allé chercher dès 2014 en Australie pour mettre de l’ordre dans les deniers pontificaux en créant le Secrétariat pour l’économie, avait d’ailleurs qualifié ces réseaux de «forces obscures du Vatican». Il regrettait d’avoir «sous-estimé» leur capacité de nuisance. En les affrontant, ce cardinal de choc a subi l’avanie. Il est aujourd’hui décédé. Il est l’un des rares à qui François a rendu un hommage vibrant dans ses mémoires, «Espère».
Le scandale de l’immeuble londonien
À côté de l’implication totale – et contrariée – de François sur ce dossier, que retenir des multiples péripéties qui ont jalonné ces douze années de pontificat? Le fait que deux instances se sont opposées à la consolidation des budgets de la trentaine de ministères du Vatican.
La Secrétairerie d’État tout d’abord, que l’on pourrait comparer à Matignon, a voulu garder son pouvoir central, y compris financier, sur la curie romaine. Mais un investissement catastrophique dans un immeuble londonien, à l’origine d’une perte estimée à 100 millions d’euros (93,1 millions de francs), a démontré ses limites. On ne s’improvise pas financier du jour au lendemain.
La très puissante Administration du patrimoine du siège apostolique (APSA), qui gère un patrimoine immobilier estimé à 1 milliard d’euros (930 millions de francs), a ensuite cherché à prendre le contrôle. Le pape lui a même donné un blanc-seing en 2020, au moment du scandale de l’immeuble de Londres, mais il lui a ensuite retiré cette gestion en 2022, au vu de résultats jugés décevants.
L’«amateurisme» du Vatican dénoncé
À ces deux résistances, il faut ajouter la guérilla comptable que plusieurs ministères – on les appelle des dicastères – ont menée pour garder jalousement la gestion de «leur» budget, sans dépendre d’un contrôle de gestion supérieur. Le monde administratif connaît bien ce type de comportement.
Beaucoup de spécialistes du dossier parlent «d’amateurisme» du Vatican en matière financière. Un expert indépendant a fait les comptes de cette gestion aléatoire et opaque des finances, sans contrôle extérieur: elle aurait coûté «entre 500 millions d’euros (465,7 millions de francs) et 1 milliard d’euros (930 millions de francs) au Vatican depuis deux décennies».
De l’avis de tous, le seul organisme qui a vraiment été redressé est l’Institut pour les œuvres de religion (IOR), souvent appelé la banque du Vatican. Il était en très mauvais état en 2013. Il a d’abord exclu ses clients frauduleux, puis mis en place des procédures transparentes, soumises à des contrôles selon les normes internationales, dont Moneyval.
Ce travail lui permet d’être reconnu comme un établissement désormais fiable. Il est aujourd’hui le seul organisme du Vatican à avoir le droit de mener des opérations financières selon les normes internationales. Un résultat qui avait d’ailleurs conduit François à changer une nouvelle fois d’avis pour édicter un décret imposant à toutes les entités du Saint-Siège de confier à l’IOR, au détriment de l’APSA, la gestion financière de leurs fonds. C’était en août 2022. Personne ne semble avoir exécuté son ordre. Cette indocilité financière et ses conséquences s’annoncent comme l’un des dossiers internes les plus explosifs du conclave à venir.
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