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AboBarrières tarifaires –

La Chine n’a plus de raisons d’avoir peur des États-Unis

À l’heure où Trump veut imposer des tarifs douaniers à la plupart de ses partenaires commerciaux, le Chine a fortement réduit sa dépendance à l’égard de l’Amérique.

La part des exportations chinoises vers l’Amérique a reculé à 14% du total des exportations du pays en 2024, contre encore près de 30% en 2018.IMAGO/ZUMA WIRE
En bref:
  • Les nouvelles taxes américaines sur les importations chinoises déclenchent des menaces de représailles.
  • La Chine diversifie ses partenaires commerciaux, réduisant sa dépendance à l’égard des États-Unis.
  • L’Europe pourrait bénéficier de produits chinois à bas prix, ce qui ferait peser un risque sur l’industrie européenne.
  • Les autorités chinoises stimulent la consommation intérieure pour soutenir la croissance économique du pays.

Le bras de fer s’annonce sanglant. «Les taxes vont avoisiner 104% sur les importations chinoises aux États-Unis, et la Chine va répliquer massivement si Trump va de l’avant», lâche, un brin perplexe, John Plassard, spécialiste en investissements de la banque Mirabaud. Ces nouvelles barrières douanières doivent être appliquées à partir de ce jeudi 10 avril. On lorgne Washington pour prendre des nouvelles. Trump va-t-il lever le pied?

Pékin a été clair. «Si les États-Unis poursuivent la mise en œuvre de ces barrières tarifaires renforcées, la Chine prendra résolument des contre-mesures pour préserver ses droits et ses intérêts», a répliqué le Ministère du commerce, cité par le «Financial Times».

«Il va y avoir des discussions entre les deux pour édulcorer un peu les choses», estime John Plassard. Voilà pour le très court terme.

Mal profond avec la Chine

Mais le mal serait plus profond et les agendas irréconciliables. «La Chine a une vision à quinze ou vingt ans, et non pas à une année et demie, comme aux États-Unis, avec les élections de mi-mandat au Congrès pour Trump (ndlr: élections partielles où le président peut perdre sa majorité)», explique le financier.

Cela a son importance pour la suite. D’autant que Michael Strobaek, directeur de l’investissement chez Lombard Odier, redoute que «les barrières tarifaires vont probablement geler les relations commerciales entre les deux nations pendant longtemps». Et Pékin place tranquillement ses pions.

Pékin va gagner

La guerre commerciale actuelle pourrait in fine lui profiter. «Comme plan B, la Chine va développer ses débouchés vers l’Europe, l’Afrique, et peut-être même l’Inde», prévoit d’ailleurs John Plassard.

Pékin dispose d’un solide réseau. La Chine a tissé sa toile sur tous les continents. Surprise: les États-Unis ne seraient déjà plus un partenaire commercial essentiel. «La réalité est que la part des exportations chinoises vers l’Amérique a reculé à 14% (ndlr: contre près de 30% du total des exportations du pays en 2018)», poursuit-il. Les Américains sont donc un partenaire important, mais pas primordial.

Articles chinois à bas prix

Les Chinois ont effectivement d’autres options. «À l'image de ce qui s’est passé lorsque Joe Biden a virtuellement bloqué les importations de panneaux solaires chinois et que Pékin a alors écoulé sa production en Europe avec des discounts, la Chine va se tourner vers nous pour vendre à bas prix les biens qu’elle fabrique (appareils ménagers, etc.)», prévient le financier.

Cela va s’avérer délicat pour l’Europe. L'industrie locale risque de souffrir. La crise qui frappe aujourd’hui le secteur européen du photovoltaïque est symptomatique de cette menace. Fragilisés par la concurrence chinoise, les fabricants de panneaux solaires du Vieux-Continent se retrouvent en grande difficulté, à l’image du groupe suisse Meyer Burger.

L’Europe peut en profiter

Mais tout n’est pas noir pour autant. «Nous allons acheter leurs voitures électriques bon marché et ils importeront des instruments de précision ou de la chimie pour leur industrie depuis l’Europe», illustre John Plassard.

Des débouchés agricoles sont aussi possibles pour l’Union européenne. «Les Chinois achètent beaucoup de poulets congelés et de produits agricoles, du soja notamment, aux États-Unis, et ils pourraient se tourner davantage vers l’Europe à l’avenir», estime John Plassard.

La Chine n’a pas que l'Europe dans le viseur. «Alors que les États-Unis abandonnent leur politique commerciale ouverte au profit d’accords plus limités, la Chine pourrait combler le vide en resserrant ses liens avec les économies des BRICS+ (ndlr: Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud, Iran, Égypte, Émirats arabes unis, Indonésie et Éthiopie)», souligne Nannette Hechler-Fayd’herbe, économiste chez Lombard Odier.

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Le rapport au continent africain a clairement son importance. «Avec les Nouvelles routes de la soie, l'Afrique est aujourd'hui chinoise à plus de 50%», provoque John Plassard. Le riche sous-sol africain et les terres agricoles font saliver Pékin, qui construit routes, ports et autres infrastructures vitales pour se donner le droit d’exploiter ces richesses: lithium, or, cobalt ou encore cuivre, «une stratégie pensée à long terme».

Le rêve américain

Pour se développer, la Chine cherche également à répliquer le modèle américain. «Aux États-Unis, la croissance est soutenue à 70% par la consommation domestique (ndlr: dépenses des ménages et investissement des entreprises), contre 40% en Chine», détaille l’économiste. Autrement dit, Pékin veut, en termes de croissance, être moins tributaire de ses exportations.

La Chine a d’ailleurs pris des mesures en ce sens. «Pour aider la consommation, les autorités soutiennent aujourd’hui l'immobilier et la Bourse, auxquels les ménages chinois sont très sensibles», rappelle l’expert. Les banques régionales sont par exemple poussées à prêter aux particuliers à des conditions moins restrictives, et la fiscalité des ménages a été réduite (allocations familiales augmentées, impôts sur l’immobilier diminués, etc.). Bref, Pékin se prend à rêver d’Amérique.

La Suisse exporte massivement de l’or en Chine

Depuis 2010, la Chine est le principal partenaire commercial de la Suisse en Asie. Et le troisième au niveau mondial, après l’UE et les États-Unis. Berne exporte, par ordre d’importance, de l’or, des produits pharmaceutiques, de l’horlogerie et des machines. En 2023, la Suisse a enregistré un excédent commercial record de 22 milliards. Cependant, en excluant les exportations d’or, la balance commerciale est négative d’environ 2,5 milliards.

Les entreprises suisses sont également très présentes en Chine. Selon les données de 2024, elles emploient quelque 170’000 personnes sur place.

Les relations entre Berne et Pékin remontent à loin. La Suisse a été l’un des premiers pays occidentaux à reconnaître la République populaire de Chine comme État souverain, en 1950. Cette «amitié» de plus de septante ans a notamment permis de signer un accord de libre-échange en 2013 entre les deux pays, faisant de notre pays un pionnier en la matière.

Ce dernier est entré en vigueur en 2014. Et en dix ans, les exportations suisses (sans les métaux précieux) sont passées de 8,8 à 15,4 milliards, soit une hausse de 74%. Les importations chinoises ont également progressé de 47,5%, passant de 12,1 milliards à 17,9 milliards.

En octobre dernier, le Conseil fédéral a décidé d’ouvrir de nouvelles négociations pour optimiser cet accord. La Suisse souhaite un allègement plus conséquent des droits de douane. Elle aimerait également faciliter les investissements helvétiques sur place.

Mais le gouvernement vise aussi un renforcement des dispositions relatives à la protection de l’environnement et des droits des travailleurs. Or, discuter de la question des droits humains avec Pékin est extrêmement sensible.

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Nicolas Pinguely est journaliste à la rubrique économique depuis 2018. Spécialiste en finance, il a travaillé par le passé pour le magazine Bilan, à l'Agefi et au Temps. Il a aussi occupé différents postes dans des banques et sociétés financières, notamment dans la microfinance.Plus d'infos
Florent Quiquerez est journaliste à la rubrique Suisse depuis 2015. Spécialisé en politique, il couvre avant tout l'actualité fédérale. Auparavant, il a travaillé comme correspondant parlementaire pour les Radios Régionales Romandes.Plus d'infos

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