AboInterview de Christelle Luisier –
«Mme Dittli est légitime, responsable et compétente»Maintenant que la réorganisation des départements est achevée, la présidente du Conseil d’État vaudois revient sur la crise du gouvernement qu’elle préside.
Douze jours après le coup de tonnerre provoquĂ© par la dĂ©cision de retirer les Finances Ă ValĂ©rie Dittli, le Conseil d’État est parvenu Ă se fixer une nouvelle rĂ©partition des tâches. La benjamine du gouvernement, dĂ©possĂ©dĂ©e des Finances, conserve l'Agriculture et hĂ©rite du NumĂ©rique. Cette importante entitĂ© Ă©tait dans le giron de la socialiste Nuria Gorrite, depuis treize ans. L'ex-ministre des Finances se voit aussi attribuer l'Office de la consommation. Christelle Luisier, prĂ©sidente, transmet les affaires institutionnelles Ă Nuria Gorrite et les communes Ă FrĂ©dĂ©ric Borloz.Â
Alors, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, alors que Valérie Dittli a subitement quitté la séance hebdomadaire du Conseil d’État? Quelques heures après l'annonce de cette réorganisation, Christelle Luisier a reçu «24 heures» pour un entretien sur la crise gouvernementale vaudoise la plus retentissante du XXIe siècle. Le rapport de Jean Studer pointe les fautes présumées de Valérie Dittli et il est encore dans toutes les discussions.
Vous êtes donc enfin arrivés à finir la réorganisation des départements. Est-ce que c’est une sortie de crise?
En tout cas, c’est vraiment un très bon signal. L’ambiance ce matin était apaisée et sereine. Cette répartition s’est faite de manière constructive, positive et puis à sept. C’est un bon point de départ pour la suite, alors que nous sommes confrontés à de nombreux défis, en termes d’attractivité et de finances notamment. Cela nécessite une action unie du gouvernement.
Comme c’est vous qui avez repris les Finances, Mme Dittli a souhaité publiquement obtenir une partie de votre département. Or, la réorganisation d’aujourd’hui, du 2 avril, ne correspond pas à ce souhait. Pourquoi?
Ce qui était clair, c’est que je devais me délester d’une partie de mon département. C’était logique. Dans les discussions entre nous, les choses se sont déroulées à satisfaction de toutes et tous. Mme Dittli reprend de mon département la loi sur la durabilité, qui est un gros projet législatif et un enjeu important de notre programme de législature. Désormais, sous son égide, il y a tout ce qui touche à la durabilité et au climat. Elle sera aussi chargée du Numérique et de la cybersécurité, des politiques publiques importantes pour le canton.
Mme Dittli conteste toujours fermement le rapport Studer. N’est-ce pas une épine dans le pied pour le gouvernement?
J’aimerais rappeler que la décision de donner ce mandat à Jean Studer a été prise à l’unanimité des sept conseillers d’État, et que c’était aussi une demande de Mme Dittli. La désignation de cet expert a été décidée après six mois de discussions, notamment de dialogues accompagnés par un expert en médiation. Pour le reste, nous nous basons sur les conclusions du rapport, qui soulignent la souffrance des collaborateurs et la nécessité de prendre des mesures fortes et rapides. Sinon, on nous aurait reproché de ne rien faire.
La mise en danger de la santé des collaborateurs suffit-elle à justifier que Mme Dittli ne soit plus chargée des Finances?
Plusieurs constats ont motivé la décision du Conseil d’État. Jean Studer a confirmé que l’annulation de taxations entrées en force n’était pas légale. Par ailleurs, à la question de la santé au travail, il a souligné l’impact non seulement sur la vie privée des personnes concernées, mais aussi sur le bon fonctionnement de l’État, ainsi que le besoin d’actions fortes et rapides.
En 2022, après la campagne électorale victorieuse de l’Alliance Vaudoise, qui était focalisée sur les baisses fiscales, les Finances ont été confiées à la nouvelle élue, Mme Dittli, qui avait le moins d’expérience et aucun représentant au parlement. N’était-ce pas une faute politique?
Il y avait de bonnes raisons à l’époque d’agir de cette manière-là . Nous étions en crise institutionnelle avec les communes, avec des enjeux financiers massifs. Cela faisait deux ans que j’étais au Conseil d’État et ce dossier était clairement prioritaire. Celui de l’école était aussi jugé prioritaire. Quant aux finances de l’État, elles étaient assez bien balisées et nous étions loin de la situation financière dégradée d’aujourd’hui. Ensuite, Mme Dittli est élue par le peuple, c’est une conseillère d’État légitime, responsable et compétente comme nous tous.
Mme Dittli semble soutenue par une partie de la population. Selon vous, pour quels motifs?
Je pense qu’elle est perçue comme une conseillère d’État dynamique, qui veut faire changer les choses, tout simplement.
Vous êtes la présidente depuis juillet 2022. Votre rôle est de faire fonctionner le collège gouvernemental. Est-ce que vous n’avez pas, à un moment ou à un autre, manqué d’autorité?
Ma responsabilité est de veiller au bon fonctionnement des départements. Le collège gouvernemental est aussi responsable, ainsi que chacun de ses membres. La présidente ou le président du Conseil d’État n’est pas le patron de ses collègues. Le Conseil d’État, de manière globale, a pris les choses très au sérieux. Il a agi de manière rapide et proportionnée face aux éléments qu’il connaissait. Il est allé jusqu’à auditionner sept personnes. Quand il a estimé qu’il ne pouvait plus traiter ce problème tout seul, il a décidé de mandater un expert pour faire la lumière. Cette gradation était adéquate. Aujourd’hui, certains disent à l’inverse que nous nous sommes précipités…
L’expert indépendant indique que Mme Dittli a demandé l’annulation de la taxation à la direction générale de la fiscalité, à la veille même de la décision du Conseil d’État pour proposer un changement de loi pour résoudre ce problème du bouclier fiscal. Est-ce que vous estimez qu’il s’agit d’un acte déloyal envers le gouvernement?
Le Conseil d’État a pris ses décisions sur la base du rapport d’analyse. Aujourd’hui, ma priorité en tant que présidente est de trouver un chemin pour assurer le bon fonctionnement du collège et des institutions. C’est clairement aussi la priorité de tous les conseillers d’État.
C’est arrivé la veille…
Effectivement, c’est arrivé la veille. Cela faisait un certain temps qu’il y avait cette discussion sur le bouclier fiscal. Il y avait une volonté claire de la part du Conseil d’État de modifier à nouveau le système. La question portait sur les modalités. Pour avoir une solution sûre, il fallait changer la loi, en toute transparence vis-à -vis du parlement.
À part MM. Bernard Nicod et Patrick de Preux, qui se sont exprimés dans les médias, quels types de contribuables ont-ils été touchés par la modification du bouclier fiscal vaudois? Et combien?
En 2021, il y en avait 3500. Je ne sais pas exactement quels types de contribuables sont touchés. Comme vous, je connais ceux qui se sont exprimés dans la presse.
En 2022, la modification du bouclier fiscal est entrée en vigueur après avoir été préparée par Pascal Broulis, puis l’adoption par le parlement. Est-ce que vous reconnaissez que dès 2023, de nombreux patrons et propriétaires de PME se sont considérés brusquement beaucoup plus taxés?
C’est fin 2023, début 2024, que j’ai commencé à entendre cela. Je ne me souviens pas qui m’a informée en premier. Il y a eu des messages du Centre patronal et de la CVCI. C’est venu par plusieurs biais. Au printemps 2024 les discussions ont pris de l’ampleur.
Est-ce que les élus PLR du Conseil d’État, dont vous faites partie, n’ont pas sous-estimé ce problème?
Ce n’est pas une question de parti. Au moment où le gouvernement s’est rendu compte qu’il y avait un gros problème et qu’on ne pouvait pas juste le régler par un changement de pratique interne au Département des finances, nous avons entrepris de résoudre la question avec un avis de droit de l’État. Cette situation sérieuse a nécessité plusieurs séances durant le printemps 2024. Et c’est en juin que la décision du Conseil d’État a été prise de passer par un changement de loi.
Aujourd’hui, y a-t-il une insécurité fiscale qui repousserait les gros contribuables hors du canton de Vaud?
La modification du bouclier est plutôt sécurisante, puisqu’elle a été ancrée dans la loi, pour ne pas avoir d’impôt confiscatoire. La situation sera complètement clarifiée au terme de l’ensemble des procédures judiciaires et juridiques.
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