Patricia Tourancheau, known as the "queen of true crime" in France, discusses her four-decade career covering criminal cases. She emphasizes her approach as a storyteller, prioritizing neutrality and avoiding sensationalism. She maintains that even the most heinous criminals are not "monsters" but rather people shaped by their life experiences.
The article profiles four significant criminal cases that have impacted Tourancheau: François Vérove (a police officer who was also a serial killer and rapist), Lucio Urtubia (an anarchist and con artist), Guy Georges (the Bastille serial killer), and Christine Malèvre (a nurse who murdered patients). Each case demonstrates the multifaceted nature of crime and the complexities of human behavior.
Tourancheau describes her unique writing style (typing with one finger), her social networking methods (frequently involving pastis, a French aperitif), and her unwavering commitment to recording all details. She explains how she maintains boundaries with both police and criminals. She showcases how building connections, understanding motivations, and adhering to strict professional guidelines are integral to her investigative reporting.
Abo«La reine du fait divers» se confie –
«Les monstres n'existent pas. Ils ont aussi été des bébés»Pour Patricia Tourancheau, le journalisme de faits divers est un art, aussi bien dans la collecte des informations confidentielles que dans la narration. Elle explique aussi pourquoi ils fascinent tant le public.
La journaliste Patricia Tourancheau fouille dans les poubelles de la société et elle en est fière. Pour celle qui est souvent qualifiée de «reine du fait divers» en France, crimes, arnaques, évasions, meurtres en série, aussi dramatiques soient-ils, sont des faits de société qu’il s’agit de décortiquer avec sérieux, au travers de relations «loyales avec les camps adverses, police et voyous, procureurs et accusés». Un travail compliqué nécessitant de l’empathie, sans jamais juger ni fliquer. Son dernier ouvrage est une sélection de 69 articles – sur 3500 écrits pour le quotidien «Libération» entre 1990 et 2015 – «une traversée d’un monde criminel, ni tout noir ni tout rose». Celle qui tape ses articles avec un doigt raconte comment elle a préservé sa neutralité et gagné une crédibilité dans un monde masculin, où les flics l’avaient surnommée «poulette». Une conquête qui passe aussi par le pastis.
Depuis quarante ans, vous fouillez dans la vie des criminels les plus dangereux et pourtant vous soutenez que les monstres n’existent pas.
Non, ils n’existent pas. Parce que ces criminels restent des humains, même s’ils ont torturé ou commis des actes atroces. Eux aussi ont été des bébés, comme tout le monde. Des petites filles ou des petits garçons dans les vies desquels il s’est passé quelque chose. Ce serait trop facile de les rejeter de l’humanité, juste pour se rassurer. Chez beaucoup de tueurs en série, j’ai trouvé des enfances complètement fracassées. Guy Georges, par exemple.
C’est-à-dire?
À sa naissance, sa mère voulait le fourguer à ses parents qui ont refusé. Elle l’a mis alors chez une nourrice qu’elle n’a pas payée. Puis chez une autre. Il a fini à la DDASS (Direction départementale des affaires sanitaires et sociales). Elle était entraîneuse dans un bar et son père était un soldat américain déjà marié dans son pays. Le bébé aurait pu être adopté, mais sa mère a refusé de signer l’abandon pour qu’il puisse l’être. Puis à 6 ans, on lui a enlevé son nom de famille. Son deuxième prénom, Georges, est devenu son patronyme. Sa date de naissance, le 15 octobre 1962 est restée, mais on lui a changé le lieu, on l’a fait naître à Angers, et non plus en région parisienne. Il y a de quoi être perturbé par ces grosses failles originelles. C’est pour cela que je ne peux pas les considérer comme des monstres. Ils sont la part noire de notre humanité, de notre société. Et je pense que l’on doit les considérer comme tels.
Qu’est-ce que vous recherchez en priorité: l’histoire du fait divers ou celle du criminel?
Les deux! J’adore les histoires. Je me considère comme une conteuse, une passeuse d’histoire réelle. Les enquêtes, les petits indices qui les font avancer, cela me passionne. Au départ, c’est toujours le fait divers qui compte. Les indices, le déroulement de l’enquête… Mais quand le criminel est arrêté, j’ai besoin de décortiquer les expertises psychiatriques, de rencontrer les parents, la sœur, l’épouse ou l’ami, pour essayer de comprendre comment il en est arrivé là.
Le journalisme de faits divers est un paradoxe, autant décrié que recherché par le public. Est-ce qu’on vous lit en douce?
Je ne crois pas. Car j’essaie de ne pas écrire pour les voyeurs, de ne pas flatter les bas instincts comme le font certaines publications. À «Libération», nous étions habitués à traiter les crimes, les escroqueries, le grand banditisme… comme des faits de société. Mon devoir, c’est d’informer en recoupant mes informations.
En vous lisant, on a le sentiment que vous offrez une forme de noblesse au genre. Comme si ces affaires sordides étaient des sortes de mythes modernes.
Ce sont des contes modernes et noirs! Mais ce n’est pas nouveau. Dans la plupart des contes pour enfants, il y a de la violence. Même dans «Blanche-Neige» qui mange quand même une pomme empoisonnée et est tuée par sa marâtre!
Et le côté noble?
Depuis le XIXe siècle, le fait divers a toujours été méprisé. On considérait que les journalistes qui s’en occupaient alimentaient la rubrique des chiens écrasés. Pourtant, les grands romanciers, comme Emile Zola, se sont toujours inspirés des intrigues hallucinantes du monde réel. Pour ma part, je considère que cette matière est noble. J’estime avoir beaucoup de chance de pratiquer ce métier, même si, parfois, je fouille les poubelles de la société. Ce n’est pas aussi lisse que le CAC40, mais c’est bien plus passionnant à explorer.
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Autoriser les cookiesPlus d'infosÊtes-vous fascinée par le crime?
Non. Mais je suis passionnée par ce que la criminalité dit des dessous de notre société au fil du temps. Car cela change avec les époques, tout comme les typologies de crimes, d’ailleurs. Mais il est vrai qu'en général, les faits divers fascinent.
Pourquoi?
Peut-être que les gens sont attirés parce que les faits divers sont extrêmement démocratiques! Qu’ils touchent absolument toutes les couches sociales et peuvent se produire à n’importe quel endroit, dans la petite commune où il ne s’est jamais rien passé, comme dans la grande ville, dans une ruelle ou sur une autoroute. Cela peut concerner tout le monde, n’importe quand.
Est-ce que le public se projette dans ces horreurs?
Lire est une façon de les exorciser. À la fois ces histoires effraient le lecteur mais aussi le rassurent, car le drame ne l’a pas touché. Quand je raconte la trajectoire d’un tueur en série de vieilles dames comme Claude Lastennet, tout le monde se sent concerné, car sa grand-mère, sa mère ou sa voisine aurait pu être l’une de ses victimes. Les gens se mettent souvent à la place d’un des protagonistes de l’histoire.
Est-ce que vous regardez des films d’horreur?
Je déteste. J’aime les films de Martin Scorsese et Quentin Tarantino, les polars, en série ou en films. Les horreurs, je les présente en vrai. Je ne vais pas en rajouter.
Parlons de vous. Si les intrigues et les personnages de vos articles sont hors normes, quelque part, vous ne leur rendez rien. Votre légende dit que le pastis est votre outil de socialisation. Et que vous tapez sur votre clavier avec l’index de la main droite, souvent une cigarette dans l’autre main.
J’ai toujours écrit avec un doigt. Parce que quand j’ai commencé à «Libé», j’avais une vieille machine à écrire mécanique Olympia, et mon auriculaire n’arrivait pas à appuyer sur les touches.
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Autoriser les cookiesPlus d'infosEt le pastis?
Pour gratter les dessous d’un fait divers, il faut avoir des sources, socialiser avec plein de gens. Et pour y arriver, il faut faire ce qu’il faut, être dans l’empathie, le social. Du pastis, j’en avais bu avant de côtoyer la Brigade de répression du banditisme au quai des Orfèvres. Mais c’est vrai qu’à l’occasion des pots de flics, milieu très masculin à l’époque, je fumais, je buvais et je rigolais avec eux. Cela fait aussi partie du jeu.
Que ressentez-vous quand, après des mois de recherche, un protagoniste important s’ouvre à vous?
Quand la digue d’un bandit, d’un criminel ou d’une victime cède, je suis évidemment contente. Mais je ne le montre pas. Si je sens que l’on va me lâcher un truc énorme, je fais mine de rien. Cela permet d’aller plus loin.
Vous ne jugez jamais?
Non. Je ne suis pas juge, procureur, avocate ou flic.
Ni complice?
Surtout pas! Rester neutre est essentiel. Mais avoir un comportement adapté se joue sur des riens, de tout petits détails.
Par exemple?
Pour faire comprendre aux différentes personnes que je ne suis pas leur copine, leur psy ou leur avocate, je sors en permanence mon carnet de notes. Il est sur la table, sur mes genoux, à côté de moi. Il indique que je suis journaliste et que je note des choses. Cela peut bloquer la personne en face, mais tant pis.
Est-ce que vous notez tout?
Oui, je note tout. J’explique à mon interlocuteur que ma mémoire n’est pas extensive. Et quand c’est confidentiel, j’écris «OFF de chez OFF» en grand dans mon carnet. Le nom de mon interlocuteur n’apparaît même pas. Et je le lui montre. Il faut établir des règles, aussi pour rester sur la ligne jaune située entre le camp de la police et celui des voyous. Au début, les policiers ont essayé de me tirer les vers du nez. Ils ne comprenaient pas que j’aille voir de l’autre côté. Je leur ai imposé le fait que c’était mon travail de rencontrer tout le monde. Je faisais tout pour aller voir les bandits, même si, parfois, c’était dangereux. C’était à moi de faire la part des choses. Jamais je n’ai transmis des informations «off» dites par un bandit ou un policier.
Cette ligne jaune, vous l’avez effacée en 2015 quand vous avez quitté «Libération». Pouvez-vous dire deux mots de votre pot de départ?
C’était en janvier. Et j’y ai invité les plus grands flics et les plus grands voyous. Par exemple, François Besse, l’associé de Jacques Mesrine, était présent, ainsi que le président de la Cour d’assises qui l’avait jugé. Il y avait des arnaqueurs, des postiches (ndlr: membres d’un gang spécialisé dans les braquages de banques dans les années 80, avec la particularité d’être déguisés), des anciens de la Brigade de répression du banditisme, etc. Normalement, ces personnes ne se parlent pas ou seulement durant les gardes à vue. Là, elles étaient contentes de se revoir et d’évoquer le passé.
Un peu comme des vieux soldats qui se retrouvent?
Oui, c’est dingue! À un moment, deux anciens flics discutaient avec deux «postiches». Je les ai entendus évoquer, un peu nostalgiques, les longues surveillances et les filatures déjouées. Et ils étaient d’accord sur le fait que «c’était le bon temps». Des discussions surréalistes, comme leurs histoires.
Ce redoutable prédateur qui a commencé par étrangler Cécile Bloch, 11 ans, le 5 mai 1986 dans une cave à Paris, a été vu dans l’ascenseur par le frère de la victime, qui a décrit un homme de 20-25 ans, athlétique, de plus de 1,80 m, à la peau grêlée.
Ce tueur et violeur en série aux modes opératoires différents s’attaque aussi à des adolescentes et même à un couple d’adultes, qu’il a torturé et tué en 1987. Il aborde parfois des collégiennes avec une carte tricolore pour un pseudo-contrôle d’identité, utilise un talkie-walkie et une arme, se prétend policier. La brigade criminelle qui l’a recherché pendant trente-cinq ans en doutait, le croyant plutôt vigile.
À l’arrivée, fin septembre 2021, on comprend que François Vérove, né en 1962, était bel et bien gendarme à la Garde républicaine à Paris de 1983 à 1988 avant de devenir brigadier de police motocycliste. Convoqué pour livrer son ADN, ce père de famille exemplaire et conseiller municipal s’est suicidé pour échapper à la justice.
«Le grêlé: le tueur était un flic». Éd. Points
Antifranquiste espagnol, prolétaire anarchiste, faussaire clandestin, Lucio Urtubia a monté, avec ses compagnons imprimeurs libertaires du quartier populaire de Belleville à Paris, une entreprise de faux en tous genres, papiers d'identité, billets de banque, et surtout des traveller’s chèques de 100 dollars de la First National City Bank américaine dont il organisait le change avec des équipes partout en Europe.
Véritable Robin des Bois, Lucio Urtubia redistribuait les millions récupérés à des causes qui lui paraissaient justes: anarchistes espagnols, révolutionnaires cubains, boliviens, uruguayens… Vingt-cinq années de labeur illégal, la nuit ou le week-end, et tous les jours de la semaine, à 7 heures sur les chantiers, en tenue blanche de maçon, à trimer. Voilà comment l'immigré a berné la police qui, jamais, n'a détecté en lui le patron du trafic.
Emprisonné 6 mois en 1980 pour cette arnaque géante, «le cerveau» Lucio a téléguidé ses camarades pour que l’escroquerie continue. À tel point que la banque américaine a dû envoyer un ponte négocier la remise des plaques de faux traveller's avec… le maçon espagnol. Traité de «malhonnête», Lucio a rétorqué: «La banque, c'est du vol organisé. On essaie juste de rétablir un peu l'équilibre!»
De 1991 à 1997, ce marginal qui zone à Paris de squats insalubres en boulots précaires commet sept assassinats et une tentative sur des jeunes femmes qu’il suit lors de ses «chasses» nocturnes, tel «un tigre dans une jungle» selon ses mots. Son empreinte génétique est relevée et baptisée par le biologiste «SK1», car c’est le premier serial killer dont on a l’ADN en France. Mais, à défaut de fichier, d’autres victimes seront violées et égorgées jusqu’à l’arrestation de Guy Georges, le 26 mars 1998.
Trois mois plus tard, la France vote la création du fichier national des empreintes génétiques. Les psychiatres apparentent les crimes de cet enfant abandonné par sa génitrice à des «matricides déplacés». De famille d’accueil en foyer social, de fugues en vols, d’incarcérations en viols, le détenu Guy Georges profite d’une permission de sortie en janvier 1991 pour perpétrer son premier meurtre sexuel, suivi de six autres.
Condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, assorti de 22 ans de sûreté, Guy Georges purge toujours sa peine dans une centrale pénitentiaire en Alsace.
«Guy Georges, la traque». Éd. Pluriel. «Les femmes et l’assassin», Netflix.
À 28 ans, l’été 1998, l’infirmière de l'hôpital de Mantes-la-Jolie en région parisienne est accusée de la mise à mort de patients incurables. Elle soutient que c’était pour «abréger leurs souffrances».
Christine Malèvre s'identifie à Mère Teresa et s’érige en madone de l’euthanasie. Jusqu'au jour où les experts psychiatres décèlent chez elle une «fascination morbide» et un syndrome de «toute-puissance». Alors, Me Olivier Morice, avocat de quatre familles, la compare «à une tueuse en série qui s'en est prise à des malades pour assouvir une pulsion morbide».
À son procès en appel en octobre 2003, l’accusée persiste à dépeindre des actes altruistes et à rejeter les homicides volontaires: «C'est difficile de s'entendre dire que l'on est une criminelle. Un assassin, ce n’est pas ça, j'ai du mal avec ce terme.»
Entre le profil d’une «veuve noire» narcissique qui s’arroge une mission mortifère et le portrait d'une jeune infirmière fragile n'ayant pas su résister au trop-plein de souffrances, la Cour d’assises de Paris a tranché en faveur de la première hypothèse et l’a condamnée à 12 ans de prison pour l'assassinat de six malades en fin de vie.
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