Causeur. Le 19 mai, sur Europe 1, vous avez assez vertement critiqué la tribune de votre amie Delphine Horvilleur, qui dénonçait notamment la politique suprémaciste et raciste d’Israël. Dans un débat où Israël est l’accusé perpétuel, elle arrive comme l’émoji à tête de chaton avec des cœurs à la place des yeux. Faut-il s’abstenir de critiquer Israël parce qu’il y a des antisémites ? Entre votre mère et la justice, vous choisissez votre mère ?
Phillipe Val. Je n’ai pas jugĂ© la valeur morale de sa prise de position, et je ne la discute pas. Je me suis permis d’émettre une critique quant Ă son opportunitĂ©. Je crois que ma vie intellectuelle a changĂ© il y a quelques annĂ©es, lorsque, lecteur passionnĂ© de Montaigne, j’ai dĂ©couvert qu’il avait pour projet de traduire le Discours sur la servitude volontaire et de le publier intĂ©gralement dans son premier livre d’Essais. Il vouait, comme chacun sait, une affection indĂ©fectible Ă La BoĂ©tie et il ne s’est jamais consolĂ© de sa perte. Par ailleurs, il pensait que cette rĂ©flexion sur la servitude Ă©tait une merveille d’intelligence. Mais c’était en pleine guerre de religion, il ne voulait pas que le texte de son ami serve Ă justifier les actions des extrĂ©mistes. Alors, pensant qu’il connaĂ®trait de toute façon une postĂ©ritĂ©, il renonça Ă le publier, sans doute la mort dans l’âme. C’était une dĂ©cision politique. Delphine Horvilleur dĂ©fend un point de vue moral, auquel j’oppose un point de vue politique. Pourquoi ? Parce que je pense qu’à l’antisĂ©mitisme religieux et Ă l’antisĂ©mitisme idĂ©ologique succède l’antisĂ©mitisme gĂ©opolitique, lequel tient pour responsables tous les Juifs du monde de la politique du gouvernement NĂ©tanyahou.Â
Dans une pĂ©riode de grande tension, comme en ce moment, je pense inopportune toute dĂ©claration accablant IsraĂ«l.Â
Pour expliquer cette levĂ©e de bouclier des amis d’IsraĂ«l, vous dites notamment que cela leur permettra de rayer de bons amis de leur carnet d’adresses et que cela favorisera l’image morale, mĂ©ritante et innocente qu’ils ont d’eux-mĂŞmes. N’est-ce pas injuste de leur prĂŞter de telles motivations ? Pourquoi leur inquiĂ©tude ne serait-elle pas sincère ?Â
Je sais que Delphine Horvilleur s’est sentie blessée par cette moquerie. Elle y a vu que je doutais de sa sincérité. Je le regrette. Je ne doute nullement de sa sincérité. Simplement, je ne partage pas son point de vue, et je pense avoir le droit de l’exprimer librement. Je pense que les Juifs – et les soutiens de l’État d’Israël dont je suis –, puisqu’ils sont en cause d’une façon inacceptable, doivent éviter les vaines déclarations qui ne font qu’aggraver leur situation. Vaines, à mon sens, parce qu’elles n’apportent pas grand-chose de constructif… Les critiques virulentes d’Israël sont assez nombreuses comme ça pour ne pas en rajouter, quand bien même ce serait avec des arguments moraux, alors que la morale dégouline déjà de partout. La critique du gouvernement actuel est légitime et nécessaire, la condamnation morale du pays me semble bien imprudente.
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La plupart de ces gens attendent d’IsraĂ«l qu’il soit meilleur que les autres, ce qui vous irrite. Est-ce pour vous un État comme les autres ?Â
Quand on connaît l’histoire du peuple juif, on ne peut considérer que l’État d’Israël est un État tout à fait comme les autres, ne serait-ce que parce qu’il est un morceau d’Europe au Moyen-Orient. Les cultures juive, grecque, chrétienne ont composé l’esprit européen qui souffle dans tout le monde occidental libéral. C’est pourquoi, au premier signe d’antisémitisme, tout bon Européen doit se sentir attaqué dans son être. La haine de l’Europe et la haine du Juif sont une seule et même chose. Demander qu’Israël soit meilleur que les autres, et se sente le devoir, en tant qu’État juif, de tendre la main à son voisin, relève de la fable métaphysique. Comme n’importe quel pays en guerre, Israël fait, bien ou mal, ce que peuvent les peuples pour se défendre. Demander que l’État juif soit exceptionnel me semble, au mieux, une niaiserie. Avons-nous bien fait de raser Dresde, Berlin, Cologne, etc. ? Fallait-il faire autrement ? Je n’en sais rien, mais je sais que ça a mis fin au régime nazi. C’était à la fois tragique, formidable et immoral.
Depuis des années, vous luttez inlassablement contre l’antisémitisme de gauche. C’est le sujet de votre dernier livre. Vous n’êtes pas découragé ?
Mon héros dans l’histoire, c’est Winston Churchill. Chacun est sujet à des fatigues, à des absences à soi-même, à des états fragiles, mais je me bats pour gagner. J’admire ceux qui plongent et refont surface avec leur joie de vivre au cœur. Je veux leur ressembler. Une victoire, ce n’est jamais un état définitif. On n’éradique jamais rien. On repousse, on cisaille, on arrache, on gagne du terrain sur la friche, sans cesse, pour faire la place à l’émouvante beauté des jardins humains. Mais sans vigilance, l’épouvantable nature revient y semer son immonde foutoir. Le jardinier ne doit jamais se décourager.
Philippe Val, La gauche et l’antisémitisme, L’Observatoire, 2025.
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