Reportage sur les traces de l'ours dans les Pyrénées - ladepeche.fr


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The Problem: Increasing Bear Attacks on Sheep

Sheep farmers in the Pyrenees mountains are facing a growing crisis due to frequent bear attacks. The article details the experiences of several shepherds in the Pouilh and Arréou areas, highlighting the significant losses they are suffering. The attacks are not just resulting in economic hardship but also deeply impacting the emotional well-being of the shepherds, who feel helpless and frustrated.

The Impact on Farmers

The shepherds describe the emotional toll of witnessing the brutal attacks and finding their injured or deceased sheep. They express feelings of anger, frustration, and a sense of powerlessness in the face of the escalating situation. The financial losses are significant, with the cost of lost animals and the extra measures required for protection outweighing the compensation received.

Protective Measures and Their Limitations

The article explores various measures implemented to protect the sheep, including electric fences, guard dogs (Patous and Spanish Mastiffs), and night patrols. However, these strategies have proven insufficient to deter persistent bears. The effectiveness of guard dogs, in particular, is questioned, with some dogs having been killed by bears. The shepherds feel that the current protective measures are inadequate and call for more effective solutions.

The Conflict Between Conservation and Livelihoods

The article highlights the tension between conservation efforts and the livelihoods of the shepherds. There is a sense of resentment towards the government's policies, perceived as contradictory in supporting both bear conservation and sheep farming. The farmers argue that the current situation is unsustainable and that the government needs to find a solution that balances both.

Lack of Effective Solutions

The farmers feel that the current compensation and protective measures are insufficient and that more drastic measures are needed, including increased funding for more efficient protection, or culling of problem bears. The article concludes with a sense of urgency and highlights the need for effective solutions to resolve this conflict.

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Dans la cabane de Portabère, le doigt de Claude «Paco» Duran dicte soudain le silence. Autour de la table, les visages se figent. Le président du groupement pastoral de Pouilh a eu de l'oreille : dehors, ça crie aiguë sur un proche versant. La nuit finit de tomber. Partis à l'aube, Yoann, le berger, et son stagiaire, Hervé, viennent à peine de rentrer gelés du «dortoir» des brebis tandis qu'à 2 000 m d'altitude, un vent glacial balaye le souvenir d'une belle journée. Mais chacun se précipite vers ses jumelles et court sur la terrasse dominant le vide avec l'espoir d'apercevoir l'animal. Le cri se répète à quelques centaines de mètres à vol d'oiseau. Une fois, dix fois… «ça, c'est un ourson qui appelle», tombent d'accord les trois hommes, renonçant à percer l'obscurité dans laquelle monte Jojo, Joseph Pujol, l'autre berger qu'on attend pour dîner.

Première dépouille en montant

«Où est la mère ? Et l'autre, le gros mâle avec la tache noire ?» : LA question, maintenant. Garantie sans regards attendris pour la famille ours, ce lundi 29 juillet. Hier, Yoann a retrouvé quatre nouvelles brebis tuées dans la nuit et deux autres cadavres plus anciens. Aux confins du Couserans sous le port de Salau, l'estive de Pouilh est, de fait, l'une des plus exposées aux attaques, étant aussi au cœur de la plus importante zone de concentration des plantigrades dans les Pyrénées…

Quatre heures pour monter à pied au col en prenant le temps d'admirer un ballet de papillons Azurés et Citron : sur la carte postale, le sentier fleuri vers l'Espagne a certes tout du pastel pastoral. Mais difficile aussi d'ignorer cette première dépouille de brebis, bien avant la première cabane croisée, celle de Pouilh justement, «camp de base» des bergers sur ces pâturages faisant face aux vertigineux balcons du mont Rouch. Là où 61 brebis attaquées par l'ours ont déroché, il y a quelques jours… transformant la colère en rage froide, côté éleveurs.

Au port de Salau, le troupeau de l'estive de Pouilh. Photo DDM, Pierre Challier

« On ne fait pas de l'élevage, on ne soigne pas les bêtes pour que l'ours nous les mange »

«En 2018 on a eu 63 attaques. Sur 2 079 brebis, on en a eu 104 reconnues prédatées et 90 manquantes non indemnisées. Là, on a monté 2 300 bêtes de 16 éleveurs et on en est à 29 attaques pour 43 brebis prédatées. Depuis le 17 juillet, ça tape même quotidiennement ici, à coups d'une, deux, trois, cinq brebis…», récapitule Paco. «Une femelle, trois petits, un subadulte et un gros mâle» : l'effectif des ours sur leurs 1 300 hectares de pâturages et alentours, estiment-ils. Yoann retourne s'asseoir, sombre.

«Les premières années, l'ours je ne le voyais jamais. L'an dernier, six fois. Cette année déjà trois, avec un face-à-face…», poursuit le berger. Sur la table, il pose son opinel, ramène un bouchon et ferme le triangle avec un verre : de l'index, il poursuit : «Là, y avait la brebis éventrée, moi là, et lui s'est redressé la gueule pleine de sang pour me fixer, ça s'oublie pas.»

«Les ours, il faut les enlever. On ne fait pas de l'élevage, on ne soigne pas les bêtes pour que l'ours nous les mange», s'insurge en soulevant l'opinel, entre deux tranches de pain. «Et si on ne veut pas les enlever, l'état doit financer au moins cinq gardiens de nuit par groupement», compte Paco, pour qui ni les Patous de protection ni l'enclos électrifié ne sont des solutions là-haut. Enfin arrivé, Jojo, la soixantaine comme Paco, se souvient «d'avant 1996», les premières réintroductions, quand il y avait 2 % de «pertes naturelles» et que la fierté du berger était parfois de ramener tout son troupeau «sans une brebis manquante». Inatteignable désormais, «on est entre 8 et 12 % de pertes», évaluent-ils.

Paco devant la brebis tuée dans la nuit. Photo DDM, Pierre Challier

A 5 h 15, réveil. Une bruine grise noie maintenant la montagne, visibilité 100 mètres. Pas bon. L'ours adore la brume. Et aucun vautour ne sera de sortie pour pointer où chercher les bêtes tuées. Café… Aux premières lueurs Yoann, Jojo et Hervé partent avec les chiens : ce matin, il faut rassembler les brebis pour descendre à la cabane de Pouilh leur donner le sel, soigner les blessées. Versant espagnol, les portables passent. Mais pas versant français. Paco veille la radio. «Misère… Il y en a encore une…», annonce la voix de Yoann.

Pentes abruptes, touffes glissantes de gispet, barre rocheuse… derrière dans le nuage, «les brebis sont debout, pas reposées», constate Jojo. Les chiens eux, reniflent partout. Un peu à l'écart ne reste qu'une tête sur une carcasse vide, peau ouverte comme au rasoir, pattes décharnées…

«Tant qu'il n'aura pas pris de plomb dans le cul, il reviendra…», est lâché sur un ton de lassitude épuisée. Maintenant ? Descendre les brebis dans la crasse, retrouver les vacataires de l'ONCFS pour remonter constater les dégâts après un café expédié puis reprendre le troupeau… Yoann a encore devant lui dix heures de rude dénivelé pour remâcher le sens d'un métier qu'ébranle chaque attaque mortelle, vécue comme une atteinte à sa raison d'être : garder les brebis en sécurité.

Clôture électrifiée mais aussi Patous et Mâtins espagnols, à Arréou, on a tout essayé

«L'usure du berger toujours sur le pont face à un animal intelligent, doué d'une grande adaptabilité et pouvant être dangereux, personne ne mesure», dit éric Fournié, éleveur transhumant sur l'estive d'Arréou, un col plus loin, estive «exemplaire» la résument ceux qui connaissent le travail fait sous le port d'Aula, face au mont Valier. Ici ? Pour leur première année en Couserans, Pere et Mar, les bergers catalans, collent eux aussi toute la journée au troupeau de 1 680 brebis tandis que Ludo campe au milieu, la nuit, pétards à portée de main pour effrayer l'ours.

Clôture électrifiée mais aussi Patous et Mâtins espagnols, à Arréou, on a tout essayé : deux chiens de protection ont déjà été tués par l'ours, l'an dernier. «Mais du dressage au quotidien aux estives, c'est beaucoup plus compliqué à gérer qu'on ne le pense ces gros chiens, et puis les souches ont perdu en agressivité. Bref, ce n'est pas la panacée, ils sont parfois imprévisibles, aussi», confie pensif Bastien Andreu, président du groupement…

Bastien Andreu, à l'Arréou. Photo DDM, Pierre Challier

Comme les deux derniers Mâtins, qu'il a fallu faire redescendre fin juillet après leur échappée en Espagne. L'un dans l'autre ? Ils ont moins de prédations mais quand même «une douzaine de brebis expertisées», compte éric. L'indemnisation ? Dans un contexte de crise de la ruralité, l'argent mis sur la table pour les dédommagements, les aides à la protection ou une Pac très favorable aux transhumants n'enraye pas le rejet : il ne rachète ni la perte de brebis et béliers sélectionnés, ni la «valeur travail» à la clé, ni la perte de sens, surtout, ni un sentiment de dépossession d'un héritage, d'un espace ancestral autogéré, ruminent aussi ces estives. Là où l'ours s'incarne soudain en bouc émissaire des injonctions contradictoires sur la biodiversité d'un état jugé «déconnecté».

«Aujourd'hui l'état paye pour mettre des brebis en estive, mais il encourage aussi le développement du prédateur : les deux ne sont pas compatibles. Il y a donc un problème de politique publique à résoudre», résume un protecteur, préférant garder l'anonymat. Le constat qui attise aussi les colères.

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