"Si la maladie n'engage pas le pronostic vital, elle n'en reste pas moins lourde de conséquences sur la qualité de vie de celles et ceux qui en souffrent ", rappelait en juin 2024 dans une tribune l'Association française du vitiligo. "En Inde, il s'agit d'un obstacle quasi absolu au mariage et, dans certains pays du Moyen-Orient, parfois, d'une cause de répudiation ", précise le Pr Thierry Passeron, chef de service de dermatologie au CHU de Nice, l'un des trois centres experts en France avec Bordeaux et Créteil.
Mais, bonne nouvelle, dans cette affection complexe à la croisée de la génétique et de l'environnement, les connaissances ont récemment fait des pas de géant et une véritable révolution thérapeutique est en cours. "La prise en charge est en train d'évoluer et le discours médical va pouvoir enfin changer", insiste le Pr Julien Seneschal, chef du service dermatologie au CHU de Bordeaux.
Pendant trop longtemps, les malades désemparés par leurs dépigmentations - pouvant toucher n'importe quelle zone du corps (visage, mains, pieds, troncs, organes génitaux…) - se sont entendu répondre par les médecins que, non, il n'y avait rien à faire, qu'il fallait surtout éviter le soleil (faux, c'est un allié) et que tout cela était finalement psychosomatique, "dans la tête". Sans oublier la crainte (totalement erronée) d'une contagiosité. Autant d'idées reçues conduisant à une prise en charge plus qu'insuffisante, comme l'a pointé en 2023 une étude pilotée par le Pr Khaled Ezzedine, dermatologue à l'hôpital Henri-Mondor (Créteil) : aucun traitement n'avait été proposé à plus de 80 % des patients interrogés.
Aujourd'hui, on sait que la maladie est en lien avec un dysfonctionnement du système immunitaire, aboutissant à la perte des mélanocytes, les cellules qui produisent la mélanine, le pigment naturel de la peau. Bien qu'une cinquantaine de gènes (HLA, CTLA4, NLRP1, TYR…) soient associés au vitiligo, la maladie n'est pas héréditaire. "Chez les personnes présentant une prédisposition génétique, différents facteurs peuvent déclencher le processus auto-immun de destruction des mélanocytes et tous sont liés à l'exposome, c'est-à-dire à l'ensemble des expositions auquel notre organisme est soumis tout au long de sa vie ", détaille Thierry Passeron. Soit un "stress" au sens médical du terme.
Et la liste est longue : une chirurgie, une infection, des changements hormonaux (grossesse, puberté, ménopause), un stress psychologique, des frictions répétées, une brûlure comme un coup de soleil, un contact avec des produits chimiques… Le facteur déclenchant n'est cependant pas toujours identifié et la prise en charge thérapeutique ne permet pas d'améliorer le vitiligo ou d'éviter sa progression.
Crédit : BRUNO BOURGEOIS. Source : ASSOCIATION FRANCAISE DU VITILIGO
Le plus souvent (90 % des cas), la maladie est dite non segmentaire : toutes les zones du corps peuvent être touchées de manière symétrique. Si tout commence par une tache blanche, l'évolution se fait ensuite sur un mode imprévisible : la tache peut rester stable, s'étendre plus ou moins rapidement, ou régresser. Parfois le vitiligo est dit actif, c'est-à-dire en phase de poussée. De petits signes sont alors présents, comme une dépigmentation dite en confetti, des bordures claires non dépigmentées. Invisibles à l'œil nu, ils ne seront repérés que sous lumière ultraviolette, celle de la lampe de Wood.
Qu'une seule zone ou plusieurs soient dépigmentées, différentes options thérapeutiques sont envisageables : immunomodulateurs, cortisone, photothérapie (soleil ou rayons UVB chez un dermatologue, mais pas les UVA de l'esthétique). Dans de rares cas, les médecins peuvent proposer une greffe de mélanocytes. Celle-ci concerne moins de 100 patients par an en France. En tout cas, "plus le vitiligo est actif ou d'apparition récente, plus il doit être traité rapidement, poursuit Thierry Passeron. Avec trois objectifs : bloquer la dépigmentation, induire la repigmentation et tenter de prévenir les récidives qui surviennent dans environ 50 % des cas. "
L'autogreffe de mélanocytes sous anesthésie locale
Réservée aux patients présentant un vitiligo dit stable (pas de signes visibles en ultraviolet), localisé (peu de zones) et après échec des traitements médicaux, l'autogreffe de mélanocytes est réalisée sous anesthésie locale d'une durée d'environ trois heures. Elle commence par une biopsie de peau sur une zone saine pigmentée peu visible (cuir chevelu, pubis, fesse). Un traitement chimique permet ensuite de séparer la partie du derme de l'épiderme pour ne récolter que la couche épidermique. La solution obtenue est appliquée sur la zone de peau receveuse préalablement débarrassée de sa couche superficielle par exposition à un laser. Un pansement est posé pendant environ huit jours, mais le patient devra encore attendre près de neuf mois pour évaluer le succès de l'opération.
Depuis un peu plus d'un an, une nouvelle arme est disponible : le premier traitement spécifique du vitiligo, le ruloxitinib, commercialisé par le laboratoire Incyte Biosciences sous le nom d'Opzelura. Le tube de 100 g, d'un prix de 838 euros, est remboursé à hauteur de 65 % par la Sécurité sociale depuis l'été 2024. Il permet de traiter l'équivalent de la surface d'une main, soit 1 % de la surface corporelle, pendant six mois.
Mais son application est contraignante : deux fois par jour en couches fines. Aussi demeure-t-il réservé aux formes peu étendues. "Il est proposé dès l'âge de 12 ans aux patients dont la zone à traiter ne dépasse pas 10 % de la surface corporelle totale, soit environ 30 à 40 % de la totalité des patients ", détaille Julien Seneschal.
Cette molécule innovante, récompensée fin décembre 2024 par le prix Galien 2024, permet aux mélanocytes de recoloniser la peau et de la recolorer. Il correspond au premier traitement dit anti-JAK. Pourquoi un tel nom ? Parce que dans les mécanismes de dépigmentation à l'œuvre dans la maladie, les mélanocytes sont détruits par certaines cellules du système immunitaire, les lymphocytes T, selon des voies biologiques activées par des protéines comme celles appelées Janus kinases (JAK 1, 2, 3). Or, c'est justement l'action de ces protéines qui est inhibée par le ruxolitinib. Résultat : une réduction de l'agressivité des lymphocytes et des mélanocytes qui repeuplent la peau atteinte. Très bien supporté, ce traitement est un véritable progrès de l'avis des spécialistes, qui le prescrivent depuis maintenant plusieurs années dans des essais.
S'il permet d'obtenir en moyenne 75 % de repigmentation pour le visage chez un patient sur deux, ses résultats ne s'observent qu'après de longs mois de traitement, au moins six et souvent jusqu'à vingt-quatre mois. De plus, "les mains, les pieds et les poignets répondent moins bien que le visage ", ajoute Thierry Passeron. D'autres essais sont menés pour améliorer ces résultats.
"Les retours d'expérience actuels suggèrent qu'ils sont meilleurs si on associe des séances d'UVB ainsi qu'une prise orale de certains antioxydants, poursuit le spécialiste niçois. Ce qui permet finalement de repigmenter les lésions bien plus rapidement. " Des résultats qui restent en attente de confirmation et de publication. Le recul sur l'usage des UVB a en tout cas permis de montrer que le risque de développer un cancer cutané (mélanomes et autres types) est moindre chez les patients atteints de vitiligo que dans la population générale.
D'autres molécules, des anti-JAK administrées par voie orale et destinées à des vitiligos très étendus ou très actifs, sont en cours de développement dans des essais de phase 3. Elles pourraient arriver sur le marché à l'horizon 2030. Parallèlement, les chercheurs explorent d'autres voies biologiques et types de molécules. Comme celles permettant d'accroître l'effet des UV ou celles agissant sur les lymphocytes, qui régulent ceux qui détruisent les mélanocytes.
Enfin, dernier axe de recherche très prometteur, la voie de signalisation Wnt. "Elle semble essentielle dans la multiplication et la survie des précurseurs des mélanocytes, les cellules souches mélanocytaires ", détaille Thierry Passeron. D'où l'idée de parvenir un jour à la stimuler avec un traitement local favorisant la repigmentation des zones qui répondent encore mal aux traitements, notamment les mains et les pieds.
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