« Adrien est un jeune homme extrêmement sensible aux injustices. Il y est tellement sensible qu’il se sent régulièrement persécuté par les autres. » Et ça lui gâche la vie. Adrien est un patient fictif. Une « étude de cas » qui permet à Catherine_la_psy d’illustrer le thème : « ce que notre sensibilité à l’injustice peut révéler ». Catherine_la_psy, un pseudonyme, est psychologue à Lyon. Depuis deux ans, en parallèle de son activité en libéral, elle propose des posts, des stories, et des lives sur son compte Instagram, suivi aujourd’hui par près de 20 000 personnes. « Les études de cas sont les publications qui fonctionnent le mieux auprès de mes abonnés, probablement parce qu’ils se reconnaissent dans les situations présentées », explique la psychologue spécialisée en Analyse Transactionnelle (AT), un courant peu connu en France. Dans un premier temps, la professionnelle a ouvert son compte Instagram pour faire découvrir cette approche. Rapidement, les questions posées par ses abonnés l’ont poussée à développer des études de cas. « Les patients ont souvent honte de consulter un psy, ajoute Catherine. Avec mes posts, je montre que les thèmes de tous les jours peuvent amener à être suivi. »
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Démocratiser, dédramatiser, voire banaliser, les consultations chez un « psy » (-chologue, -chanalyste, -chothérapeute, -chiatre), vulgariser la psychologie et sortir des clichés sont les principales motivations des psy présents sur Instagram. « Dans l’imaginaire collectif, le psy est un psychanalyste qui ne dit rien. Moi, je suis une psy qui parle », s’amuse Catherine_la_psy qui assume pleinement sa présence sur Internet, d’Instagram à YouTube. « Si, grâce à mon compte, certains abonnés osent faire appel à quelqu’un, je suis comblée. » Instagram comme porte d’entrée vers la psychothérapie ? Elles s’appellent Lapsyquiparle, Psynergy, Laminutepsy, Péripépsy ou encore Psyimage. Toutes utilisent un pseudonyme – plus attrayant sur le réseau social –, certaines révèlent leur véritable identité et dévoilent plus ou moins d’elles dans leurs publications quand d’autres restent très discrètes. Depuis le premier confinement, le réseau social a vu naître de nombreux comptes de psy. Comment expliquer un tel engouement ?
Elodie a la petite trentaine. Il y a un an, elle a « craqué au bureau ». Burn-out. Depuis, elle se rend une fois par semaine chez une psychologue. « C’est un engagement très fort : je pense à ce que je vais dire à la prochaine séance, dès qu’il se passe quelque chose, je me vois le raconter à ma psy, et après la séance, je repense à ce dont j’ai parlé, aux questions qu’elle m’a posées. » Malgré cette implication, la jeune femme a rapidement ressenti le besoin de « lire des choses, d’en savoir plus, de comprendre comment se déroule une thérapie ». Après avoir parcouru des pages et des pages d’articles de sites consacrés à la psychologie, au burn-out et à la thérapie, Elodie s’est tournée vers les livres de psychologie et de sociologie. Puis, par hasard, elle découvre le compte de Catherine_la_psy, sur Instagram. « J’ai ouvert un compte, pour voir. Et je suis rapidement tombée sur des comptes de psy. » Magie des recommandations et des algorithmes. La trentenaire accroche. « C’est hyper clair, hyper déculpabilisant. En écoutant Catherine_la_psy, j’ai l’impression qu’une super copine est en train de m’expliquer ce que je vis en thérapie, même si l’approche de ma psy est très différente. »
Pour Emmanuelle Drouet, alias Péripépsy, « Instagram permet d’offrir une information gratuite et facile d’accès que les gens n’iraient pas chercher dans des livres ». Sur son compte, elle parle de sujets « tabou », de la sexualité au suicide en passant par les troubles du comportement alimentaire et l’inceste. Il y a une démarche pédagogique, l’envie d’expliquer certains symptômes.
Mais attention, les comptes Instagram ne remplacent pas un suivi digne de ce nom, encadré par un professionnel. Toutes les « psy » contactées insistent sur ce point. « Je ne veux pas devenir le Doctissimo de la psycho, avec des personnes qui viendraient chercher des solutions low cost ou s’auto-diagnostiqueraient », craint Psyimage. « Ce qui compte en thérapie, c’est l’alliance thérapeutique [la relation entre le patient et le thérapeute, NDLR] », précise cette psychologue d’orientation psychanalytique. Sur son compte, des dessins humoristiques pour illustrer des symptômes et des situations rencontrées en thérapie. On y voit par exemple un homme, courant dans une roue de hamster sur laquelle est écrit « moi, moi, moi ». Psyimage ne dit rien d’elle, pas même son nom ou sa photo. « Je ne veux rien dévoiler de moi pour ne pas dévier de ma pratique. » En effet, en psychanalyse, l’analyste doit rester une page (presque) blanche sur laquelle l’analysant pourra projeter ses émotions. C’est le fameux « transfert », ce processus au cours duquel sentiments et désirs inconscients sont reportés sur une autre personne, en l’occurrence, le psy. Ses patients ne savent pas qu’elle est présente sur le réseau. « Et s’ils tombent dessus, ça n’entrave rien. »
Même constat chez Catherine_la_psy. « Instagram n’est pas un sujet en séance. Je sais que certains patients me suivent, mais ce n’est pas un problème. » La psychologue n’hésite pourtant pas à révéler des choses très intimes, « mais seulement si je pense que cela peut aider certains abonnés ». Ainsi, elle a indiqué avoir souffert d’un trouble anxieux généralisé, et qu’elle s’en est sortie. « Je veux montrer que les psy sont humains », précise-t-elle. « J’ai une phobie de l’avion, je le dis et j’indique que je ne prends plus l’avion, histoire de montrer que tout n’a pas besoin d’être traité. » Cette même volonté est présente chez Emmanuelle Drouet, alias Péripépsy. « Nous voir permet aux gens de se rendre compte qu’il y a un humain derrière le psy », ajoute cette psychologue qui a mis en ligne cet été des photos de ses vacances. « On demande à nos patients d’être authentiques, donc je le suis sur Instagram. » Emmanuelle Drouet propose à ses patients des thérapies comportementales et cognitives, une approche qui lui offre plus de liberté de parole que la psychanalyse. Malgré cette liberté, elle a ressenti le besoin de transformer son compte, de le professionnaliser. « C’est parfois décourageant de voir que mes posts de vacances sont plus vus que ceux que je prends le temps d’élaborer. » Depuis la rentrée, elle a donc décidé de réduire le nombre de publications et de les orienter uniquement psy.
Car être présent sur les réseaux sociaux prend du temps. Beaucoup de temps. « L’année dernière, j’y passais quatre à six heures par jour », calcule Emmanuelle Drouet. Trop. À présent, la psychologue installée en région parisienne consacre deux à quatre heures maximum à répondre aux messages et concocter ses posts et stories. « C’est un vrai travail ! », surenchérit Catherine_la_psy qui a diminué son activité en libéral pour professionnaliser sa présence sur Internet, qu’elle gère avec son compagnon développeur. « Je reçois entre cinquante et cent messages par jour, je réponds à tout. » Professionnaliser rime avec monétiser. Refusant toutes les propositions de partenariats de marques, pour ne pas devenir une « influenceuse » psycho, la psychologue lyonnaise a développé des ateliers en ligne qu’elle vend grâce à son infolettre. Dans ses ateliers, des vidéos et des exercices qui proposent des outils sur les thèmes de la psycho-généalogie ou des relations toxiques. « Au cabinet, le travail est émotionnellement très prenant. Avec les ateliers, c’est un travail intellectuel, technique, mais plus simple à gérer. » À terme, elle aimerait être à mi-temps sur Internet et à mi-temps au cabinet.
Si Catherine_la_psy a accepté quatre patients en provenance d’Instagram, la psychologue n’en reçoit plus de nouveaux et refuse, comme les autres interviewées, toutes les demandes de consultation « à la sauvage », en ligne. « Je reçois régulièrement des demandes mais ce n’est pas le lieu et je redirige systématiquement les personnes vers d’autres professionnels pour entamer une véritable démarche psychothérapique. » Car le risque de voir des personnes se contenter d’Instagram pour gérer leurs maux est bien présent et questionne les psy présents sur les réseaux. « Il y a les modes des HPI [Haut potentiel intellectuel, NDLR] ou des hypersensibles donc quand j’aborde un sujet, j’ai en tête la question de l’auto-diagnostique », précise la psychologue. « Aucun risque sur mon compte », tranche de son côté Psyimage. « Je ne propose aucun diagnostique, je ne donne aucun conseil, je n’ouvre pas de boîte à questions dans laquelle les abonnés pourraient être tentés d’exposer leur problématique. » Elle s’autorise simplement à « expliquer certains concepts, avec un brin d’humour grâce aux dessins ».
Vulgariser, dĂ©dramatiser, et pour certains, vendre quelques ateliers. Mais aussi sortir de l’isolement. « C’est un mĂ©tier oĂą l’on est très seuls, donc le rĂ©seau social permet de crĂ©er du lien », remarque Psyimage. Parmi les abonnĂ©s des comptes de psy sur Instagram, d’autres psy. « J’adore dĂ©battre avec les collègues », s’enthousiasme Catherine_la_psy dont l’approche, l’Analyse transactionnelle, est souvent critiquĂ©e. « J’ai aussi dĂ©couvert les TCC, je me rĂ©concilie avec la psychanalyse, et je m’intĂ©resse aux comptes de psychomotriciens, de naturopathes, etc. » Grâce Ă Instagram, Catherine_la_psy s’autorise Ă travailler avec d’autres professionnels, quand la situation d’un patient le nĂ©cessite. Quant Ă Adrien, son patient fictif trop sensible Ă l’injustice, la thĂ©rapie lui a permis de parler d’un harcèlement vĂ©cu Ă l’école et faire le lien avec son sentiment d’injustice. Â
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